samedi 2 juin 2012

La mentalité française et la mentalité allemande

Suite à un entretien avec Emmanuel Todd au sujet de la mentalité allemande, je profite de l'occasion pour creuser un peu ce sujet (voir le contenu de cet entretien).

Emmanuel Todd décrit la mentalité allemande selon deux approches convergentes. Todd est d'abord historien, un historien héritier de l'école des Annales de Bloch et Fèbvre. A ce titre, il regarde l'histoire comme un sociologue et un historien des mentalités. En se penchant sur l'histoire allemande et en la comparant à l'histoire française et à l'histoire anglaise, il perçoit des caractéristiques mentales propres à la mentalité allemande.
Emmanuel Todd est ensuite un anthropologue et un démographe. Avec l'outil d'analyse des structures familiales, qu'il a remodelé à la suite de l'école leplaysienne et de l'école de Cambridge, Todd a identifié une forme familiale allemande majoritaire dans le pays avec des caractéristiques qui, selon lui, expliquent pour beaucoup la trajectoire historique de l'Allemagne.
Autrement dit, les allemands font librement l'histoire de leur pays mais la structure familiale type allemande (famille souche) détermine plus ou moins fortement la vision de la société allemande des jeunes adultes fraîchement émancipé de leurs familles respectives.


Quelles sont les caractéristiques de la mentalité allemande ?


L'approche leplaysienne et toddienne se base sur la forte corrélation qui existe entre un mode d'éducation familiale, plus précisément une formation sociale et relationnelle familiale et la mentalité du jeune adulte. Pour le cas allemand, une seule structure familiale dominante se partage l'espace allemand: la structure familiale souche. On peut donc dire que la formation sociale familiale souche insufle les grandes caractéristiques de la mentalité allemande.

Qu'est ce que la famille souche ?
pour établir une classification des différentes types de familles, l'approche leplaysienne s'appuie sur le mode de relation des parents et des enfants et les relations des enfants entre eux orchestrées par les parents. Comment la famille considère t-elle le nouveau né ? est-il déjà doté d'une personnalité originale qu'il faudra respecter et développer ou doit-il s'intégrer au groupe et respecter l'ordre familial. C'est toute la question du rapport de l'individu et du groupe qui est posé ici.
Deux indicateurs objectifs peuvent nous donner des éléments de réponse solides:
- Y a t-il dans la famille une cohabitation de plusieurs générations ? cet indicateur marque la force du groupe familial par rapports aux individus ou non. Soit, autorité du groupe ou liberté des individus
- Comment est réparti l'héritage familial entre les enfants ? cet indicateur marque la forme égalitaire ou inégalitaire des enfants entre eux voulu par la famille.

La famille souche est caractérisée par l'autorité du groupe familial sur les individus et une vision inégalitaire ou différenciée des enfants. Or, le postulat leplaysien affirme que "la famille crée la société à son image". Si cela est vrai, nous pourrions vérifier dans son histoire et son actualité que la société allemande donne une priorité au groupe, à la société, à la nation (par des régimes politiques autoritaires par exemple). Nous pourrions aussi vérifier que la société allemande distille une vision inégalitaire des hommes ou en tout cas différenciée, non égale.

La mentalité allemande, véritable synthèse de la formation sociale familiale reçu par chaque enfant, est d'abord caractérisée par la priorité donnée à la cohésion du groupe. Elle se décline par un respect des hiérarchies, un Etat fort, un aptitude pour l'organisation et le respect des règles communes, une efficacité collective. Une certaine forme d'auto-contrôle de soi, intégrée depuis les premiers âges de la vie familiale.
Cette mentalité diffère pour beaucoup de la mentalité anglo-saxonne ou française par exemple. Pour le comprendre, il suffit de connaitre la famille type anglo-saxonne ou française et par effet mirroir, l'histoire de ces pays. Ce sont les hommes qui font l'histoire, mais il ne savent pas l'histoire qu'ils font.

Quelques citations permettent de comprendre
- "Fichte et Hegel préparent les matériaux dont les intellectuels et les masses allemandes auront besoin pour construire leurs idéologies. Ils transcrivent en valeurs idéologiques abstraites les valeurs familiales du fond anthropologique. L'inégalités des frères devient inégalité des hommes, des peuples, des classes. L'autorité des pères devient l'autorité de l'Etat." E.Todd, L'invention de l'Europe, p.309.
- " La forte propension à épargner et à investir qui caractérise le "capitalisme souche" n'est qu'une manifestation économique particulière, comptable, de ce rapport au temps. Epargner, investir, c'est se projeter dans le futur. Inversement, l'absorption par le présent de la consommation, la fuite dans l'endettement renvoient de façon logiquement complémentaire à l'univers mental de la famille anglo-saxonne." E. Todd, L'illusion économique, p.92.


Quelles sont les caractéristiques de la mentalité française ?


Pour le cas français, ça se complique. Trois grandes structures familiales se répartissent le territoire français. Pour  simplifier, le grand bassin parisien (zone incluant la normandie, la picardie, la lorraine, la sologne, la vienne) fait vivre la famille nucléaire égalitaire. Sur le plan historique, sociologique et géopolitique, cette structure familiale est dominante en France. La famille souche (de type allemand) est présente à la périphérie du grand bassin parisien (la bretagne, l'artois et la flandre, l'alsace, la savoie, le grand sud ouest, la vendée). Enfin, la famille communautaire se retrouve dans le limousin, le nord du massif central, ainsi que le pourtour méditerranéen.
La famille communautaire se rapproche de la famille souche dans sa dimension autoritaire, mais la valeur égalitaire  l'en sépare.
Nous avons vu que la famille dominante en France est la famille nucléaire égalitaire du grand bassin parisien.

Qu'est ce que la famille nucléaire égalitaire
A la différence de famille allemande souche, la famille nucléaire n'est pas autoritaire. Au sein de cette structure familiale, les individus qui composent la cellule familiale est prioritaire au groupe familial. On observe par exemple une faible cohabitation des générations, les enfants partent relativement vite à l'extérieur de la famille pour vivre leur propre vie. Les enfants sont donc vite initiés à l'indépendance et la construction de sa propre personnalité. La famille parisienne se rapproche de la famille anglo-saxonne qui elle aussi donne une priorité absolue à l'émancipation de chaque enfant du groupe familial. Néanmoins, la famille du grand bassin parisien est attaché à l'égalité des enfants, caractéristique absente de la famille anglo-saxonne.
Pour Emmanuel Todd, les valeurs de liberté et d'égalité de la Révolution française sont entièrement contenues dans la mentalité des familles vivant dans le grand bassin parisien.

Quelques citations permettent de comprendre:
- "Les valeurs des paysans du Bassin parisien entre le Moyen Age et la Révolution définissent ce que j'appelle un système nucléaire égalitaire, une famille très individualiste, déjà tout à fait "moderne", c'est-à-dire papa, maman et les enfants, partageant égalitairement l'héritage entre garçons et filles, exactement comme maintenant. Les valeurs révolutionnaires d'autonomie, de liberté et d'égalité préexistent dans la famille. Lors de la crise révolutionnaire, elles passent simplement du substrat anthropologique familial à une expression idéologique. Ce glissement quasi mécanique, remarquons-le en passant, est totalement contradictoire avec l'idée développée dans les manuels, selon laquelle les philosophes du XVIIIe siècle ont inventé des machins terribles, et qu'ils ont défini le contenu de la Révolution française." E.Todd, Allah n'y est pour rien, 2011.
- "Le modèle anthropologique qui dominait le coeur de la France du Nord se distinguait de son homologue anglais par une règle d'héritage frénétiquement égalitaire" E.Todd, Après la démocratie, p.99
- "C'est un égalitarisme forcené qui caractérise ici les pratiques successorales dès le milieu du 16° siècle et de manière ininterrompue jusqu'au milieu du 17° siècle." Jérome Luther Viret, Valeurs et pouvoirs, la reproduction familiale en Ile de France, PUPS, 2004.

2 commentaires:

  1. Depuis 25 ans, Française, je vis avec un Allemand,né en 1943 en D.D.R, émigré à Cologne à 11ans. Il avait la rage du gagneur, mais généreux avec sa famille restée derrière le rideau de fer!
    En visite, fin 88, pour la première fois, dans cette famille, la tante s'empressa de m'annoncer que la famille était héritière de mon ami, aujourd'hui, mon mari!
    A partir de 1989, on a beaucoup reçu cette famille! Pour Volker qui n'a pas connu son père mort prisonnier, en Russie, cette famille constitue ses racines. Elle a beaucoup appris de cette période de dictature et a encore peur d'émettre en public un avis, surtout les femmes!
    Observer,écouter, flatter,contourner font partie de leurs techniques de communication!
    Mon mari est tombé dans le chaudron aux compliments de la famille qu'il regarde de plus en plus avec les yeux de Chimène, alors qu'elle fait tout pour que nous divorcions, elle veut récupérer Volker qui est de plus en plus sous leur emprise. Il devient même méchant avec moi quand elle est sur le point d'arriver, ou là. En Juillet, il doit aller se faire opérer du genou, là bas, et sera cocooné par la famille. Je n'ai pas eu voix au chapitre! La famille a déjà réussi à faire divorcer un couple de près de Berlin dont l'homme est devenu l'ami de sa cousine! Ce qui est terrible, c'est que c'est moi l'intendance, les factures à payer, lui les économies, pourtant, en vrai, les nôtres! mais pour qui? Et impossible de mettre le problème sur la table! Les Allemands de l'Est ont,d'après moi un gros problème dans leurs relations avec lui , un problème aussi avec la notion de liberté, partout, c'est écrit privé!
    Le dernier problème étant lié à la notion d'Etranger dont on ne s'occupe pas et qui n'a pas le droit au chapitre!

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  2. Je suis moi-même mariée à un Allemand du nord depuis de nombreuses années et j'ai eu l'opportunité de constater une évolution très négative dans le comportement des Allemands en général, mais aussi dans le comportement de mon époux qui est redevenu au fil des ans l'Allemand tel qu'il fut décrit durant le 3e Reich, la violence physique en moins. Je suis germaniste, professeur d'allemand , et je pense que mon jugement est assez objectif. Mes constatations m'attristent et me donne envie de quitter ce pays où je ressens de plus en plus la haine latente et l'animosité envers les "étrangers", y compris envers les pays européens qui furent si proches! Bien que très germanisée et considérant la langue allemande comme ma seconde langue maternelle, je me sens de plus en plus étrangère dans une Allemagne où la tension monte, où la Jalousie des femmes en particulier se ressent à chaque instant, résultat de ce mouvement féministe s'étant créé dans ce pays où la femme avait été reléguée à un rôle de femme au Foyer et qui pour s'en distinguer oublie toute forme de féminité qui signifierait à ses yeux sa soumission à l'homme. L'Allemagne a perdu de son vernis d'après-guerre et l'autoéducation des enfants a pour résultat des adultes sans véritable éducation et sans comportement social. Je voyage très souvent en train et je suis effarée d'observer ce manque de respect de l'autre et de civilité.

    Les causes de cette évolution négative ont sans doute diverses sources qui se sont développées durant le 3e Reich. Je pense, malgré tout, que les médias sont en partie responsables de ce problème en raison des films et documentaires dans lesquels les Allemands sont dénigrés, ce qui a pour conséquence logique un nationalisme grandissant, même s'il n'est pas avoué par la majorité. Les communautés juives, dont je comprends les ressentiments, devraient cesser de reprocher aux Allemands, aux jeunes non responsables de ce passé, toute cette horreur concernant l'extermination des Juifs, car ils ravivent au contraire les vieux démons.

    J'aurais tellement espéré donner un avis plus positif sur ce pays dont le bien-être économique dépend en grande partie de la mentalité allemande. Les Allemands poursuivent sans condition et sans changement d'opinion leurs buts et leur manque de senntiments extremes leur permet d'atteindre sans détour leurs objectifs.

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