jeudi 25 août 2011

Le véritable impact de la formation familiale sur le futur adulte


J'ai déjà abordé indirectement cette question dans mon billet consacré au Déterminisme et à la liberté de l'homme.
Il faut néanmoins dire les choses clairement. Je cite à nouveau une formule récente d'Emmanuel Todd (E.T) à propos de la Révolution française dans son livre sur les révolutions arabes, Allah n'y est pour rien
"E.T : Les valeurs des paysans du Bassin parisien entre le Moyen Age et la Révolution définissent ce que j'appelle un système nucléaire égalitaire, une famille très individualiste, déjà tout à fait "moderne", c'est-à-dire papa, maman et les enfants, partageant égalitairement l'héritage entre garçons et filles, exactement comme maintenant. Les valeurs révolutionnaires d'autonomie, de liberté et d'égalité préexistent dans la famille. Lors de la crise révolutionnaire, elles passent simplement du substrat anthropologique familial à une expression idéologique. Ce glissement quasi mécanique, remarquons-le en passant, est totalement contradictoire avec l'idée développée dans les manuels, selon laquelle les philosophes du XVIIIe siècle ont inventé des machins terribles, et qu'ils ont défini le contenu de la Révolution française.
D.S : Vous ne croyez pas à ce rôle des philosophes dans le déclenchement de la Révolution ?
E.T : Non. Je pense que ce sont les paysans du Bassin parisien qui ont choisi l'idéologie qui leur plaisait.
D.S : Vous voulez dire que ce sont les structures familiales du lieu et du moment qui ont produit 1789 ? Et qui ont produit Voltaire et Montesquieu ?
E.T : Oui. Je sais que les intellectuels sont furibards de voir leur activité réduite à la modeste mise en forme de mentalités qui leur préexistent. Et cette analyse a été considérée au départ comme une insulte à la liberté humaine. Mais j'assume. (...)"


Todd peut être provocateur par la formule employée, mais rarement sur le fond: " l'activité des intellectuels est réduite à la mise en forme de mentalités qui leur préexistent " !!!  De cette formule qui fait mouche, il faut comprendre deux choses:
- les idées et les concepts que forgent les intellectuels sont le plus souvent la mise en forme élaborée de mentalités diffusées par la structure familiale majoritaire en un lieu donné. Pour exemple, le protestantisme luthérien autoritaire ne résistera pas à la mentalité "libérale" des familles hollandaises et anglaises. Ici, le protestantisme deviendra arminien et anglican.
- la formation sociale des intellectuels (en réalité de chacun d'entre nous) reçue au sein de leur famille quand ils étaient enfants et adolescents ont plus ou moins déterminés leurs idées, en particulier celles qui concernent la vision des relations humaines et la vision de la société.

A la suite du conférence donnée par Alain Laurent sur l'individualisme méthodologique à l'Institut Coppet, j'ai formulé les remarques suivantes : "Alain Laurent parle naturellement de la notion de subjectivisme. Il dit : « parler de groupe, parler de société, c’est une représentation, elle est en nous… » L’individualisme méthodologique part donc de ce qui intervient dans la conscience des individus. Alain Laurent précise alors plus loin, « chez un individu, tout ne se passe pas que dans la conscience », il laisse donc de la place pour le subconscient ou l’inconscient comme on voudra.
Alain Laurent affirme alors que les émergences sociales sont horizontales. Il dit: « Quand on parle de la société, de quoi s’agit-il concrètement ? C’est un certain mode d’organisation des relations entre les individus ». Autrement dit, quand la société change, c’est parce que les individus qui la composent ont changé de représentation et de comportement.
L’individualisme méthodologique est l'un des meilleurs outils pour saisir les réalités humaines et sociales, mais il nie un apport capital à mes yeux celui de l’école leplaysienne qui pose comme fondement scientifique que « la famille crée la société à son image. ». La famille est, bien avant la société, le lieu où les nouveaux-nés, les enfants – autrement dit les futurs adultes- intègrent un mode d’organisation des relations entre les individus. Arrivée à l’âge adulte, la progéniture a intégré des « instincts sociaux familiaux » (donc souvent inconscients) qui vont influencer voire conduire ses comportements sociaux et ses représentations des relations humaines. Bien sûr chaque individu a sa propre personnalité, mais il ne faut pas négliger l’impact des relations sociales familales sur le jeune enfant.
je dirais que le nominalisme de Guillaume d’Occam, ou l’individualisme de Margaret Thatcher « there is no such thing as society: there are individual, men and women and there are families » avec toute leur intelligence et leur génie personnel sont aussi le fruit de leur vie familiale anglaise type qui leur a donné une formation sociale ou l’individu compte bien plus que le groupe."

La force déterministe semble être implacable, je vous renvoie au billet :" Déterminisme des systèmes familiaux et la liberté de l'homme" pour mesurer au plus juste cette force. Il n'en reste pas moins que la force de la personnalité propre existe bel et bien.

Emmanuel Matteudi, dans son livre, Structures familiales et développement local, basé sur les apports leplaysien et toddien rappelle, pour atténuer ou aménager la force déterministe familiale, la force potentielle de la personnalité propre : " Pour souligner à quel point, la personnalité de l'individu est une donnée incontournable des facteurs explicatifs de l'innovation, il faut observer, avant tout, ceux qui ont réussi à innover malgré un milieu familial traditionnel.  E. Matteudi entame alors la description d'un jeune entrepreneur de haute montagne: " Fils d'agriculteur-maquignon installé à Saint Martin de Belleville, et ainé de trois enfants, Mirabeau est, au début du siècle, confronté à un milieu familial particulièrement conservateur. Depuis plusieurs générations l'activité économique de la famille n'évolue que très peu. Cependant, et contrairement à ce que pouvait laisser entendre le milieu familial dans lequel il vit, cette phase d'apprentissage va développer chez lui une passion étonnante pour le commerce. Dès ses 11 ans, il achète sans l'assentiment de son père, un agneau qu'il revend quelques mois plus tard avec un petit bénéfice.... A la fin de sa vie active, du patrimoine familial hérité (un hectare de terre, un bâtiment agricole et un savoir faire de maquignon), il aura surtout développé un sens étonnant: deux commerces, deux maisons d'habitation et une grosse exploitation agricole."
De ce témoignage E. Matteudi conclut: "Quitter un milieu familial traditionnel, voire traditionaliste, pour développer une stratégie individuelle d'innovation, donne donc toute l'importance du libre arbitre dans la stratégie d'innovation impulsée par Mirabeau. En se détachant de la tradition familiale pour mettre en oeuvre des stratégies économiques individualisées, Mirabeau témoigne bien du rôle de la personnalité de l'individu dans sa capacité d'entreprendre.".

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