mardi 31 juillet 2012

Les leplaysiens et la question de l'éducation: le cas Pierre de Coubertin

Les continuateurs de Le Play sont très vite venus, après la réforme scientifique du groupe de La Science sociale de 1886, à placer le rôle de l'éducation comme centrale dans la constitution d'une bonne société. Rien de plus logique pour  des partisans d'une approche familiale des sociétés.


Edmond Demolins se penche sur le système scolaire anglais qui selon lui contribue à la prospérité de leur société. En 1899, il fonde l'Ecole des Roches sur l'imitation des public schools anglaises teintée d'éducation nouvelle (voir sur ce sujet: Les Etudes Sociales n°127-128, 1998 et Nathalie Duval, L'école des roches, Belin, 2010). Cette école donnera une place de choix aux activités sportives en vogue en Angleterre. L'école des Roches existe toujours aujourd'hui, elle a vue passer des personnes comme l'acteur Vincent Cassel.

Dans le même temps, un jeune leplaysien s'intéresse de près à la civilisation anglo-saxonne et en particulier à la pratique des sports qu'il découvre aux cours de ses voyages en Angleterre et aux Etats-Unis, il s'appelle Pierre de Coubertin. Lors d'une étude exposée devant un cercle de leplaysiens en Avril 1887, le jeune Coubertin s'emploie à décrire l'éducation anglaise, fruit de son voyage d'étude : " Quant au développement physique, non seulement il occupe dans leur système (celui des public schools) une place extrêmement importante, mais il réagit sur tout l'ensemble et remplit un rôle moral efficace. Je prononcerai sans doute les mots "Education sociale". Ils n'ont pas en France un sens bien précis, en Angleterre ils répondent au but que se proposent les instituteurs de la jeunesse qui est de la faire entrer dans le monde de plein pied et sans secousse et de l'habituer dès l'enfance à la vie sociale. (...)
Instruire n'est pas élever. Entre L'instruction qui donne des connaissances, pourvoit l'esprit et fait des savants, et l'éducation qui développe les facultés, élève l'âme et fait des hommes, il y a une différence profonde. Or la fin suprême des maitres anglais, c'est de faire des hommes et de les amener ensuite à s'instruire eux-mêmes."
Les leplaysiens sont bien plus sensibilisés par la question de l'éducation que de l'instruction. Coubertin voit dans la pratique sportive une formation complète du futur adulte, physique, morale et sociale. Il croit d'ailleurs que la réforme du système scolaire français, bien trop sur le seul registre de l'instruction passera par l'introduction des pratiques sportives à l'école.


Bizarrement, les animateurs de la Science sociale, Tourville en tête, rejettent les propos du jeune Coubertin. Le texte de promotion du Comité pour la propagation des exercices physiques dans l'éducation adressé le 1 Aout 1888 aux membres des cercles leplaysiens en proclamant que "la réforme sociale est à faire par l'éducation" donne lieu a une critique acerbe de Tourville: "Quant à Coubertin, sa lettre a un peu les façons Delairienne. Quelqu'un qui l'a rencontré m'a dit le trouver un peu faiseur. Je crois que c'est cela.". Un an plus tard il récidive: "  Je ne vois pas de mal à semoncer ce petit de Coubertin. C'est un niais, qui va répétant ce qu'il ne sais pas". (voir, Les Etudes sociales, n° 137, consacré à Pierre de Coubertin).
Il faut rappeler que Tourville avait publié en Septembre 1887, soit 4 mois après la première présentation de Coubertin, un texte sur Necker, où il s'était permis une digression sur la conviction argumentée que "l'éducation fait la race". Le groupe de la Science sociale s'était-il fait dépassé par un jeune arrogant resté dans le groupe historique de l'école de Le Play (le groupe de la revue La réforme sociale.) ?


En 1935, un leplaysien de la Science sociale, Paul Roux, devient le premier président de la jeune association des parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL) porté par son ouvrage, L'éducation fait la race.


C'est encore un leplaysien, proche de l'Ecole des Roches, l'historien Jérome Carcopino, qui dirigera le Secrétariat d'Etat à l'éducation nationale et de la jeunesse sous Vichy.


Ce n'est pas un hazard si la redécouverte de l'école leplaysienne dans les années 80 est l'oeuvre salutaire d'un sociologue, Bernard Kalaora et d'un spécialiste des sciences de l'éducation, Antoine Savoye (voir leur livre, Les inventeurs oubliés, 1989)


Tout récemment, Antoine Savoye concluait son texte, Frédéric Le Play, concepteur d'une éducation libérale, au sein de la Revue Télémaque n°33 de 2008, ainsi: "Après avoir été installé dans le patrimoine vivant des sciences sociales contemporaines telles que la sociologie, l'anthropologie, la géographie, l'histoire, Le Play mérite de figurer également parmi les fondateurs des sciences de l'éducation."

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